Il n'y a pas que la rébellion tchadienne sur écoute !

Publié le par Hamid K.


Espionnage: Comment la France écoute le monde

 

 

C’est une priorité des services françaisde renseignement: écouter les communications qui transitent par les satellites. Depuis dix ans,la DGSE a ouvert plusieurs bases d’interception,en métropole et dans les Dom-Tom. Comment fonctionnent ces stations secrètes, dont nous publions les photos?  Qui écoutent-elles?Avec quels résultats?  Ces «grandes oreilles» peuvent-elles menacer la vie privée des citoyens?

Une enquête de Vincent Jauvert

C’est l’un des plus grands centres d’écoute du monde. Dans cette base secrète protégée par des miradors, des chiens policiers et des barbelés électrifiés, treize immenses antennes paraboliques espionnent, jour et nuit, toutes les communications internationales qui transitent par les satellites visés.
Où est cette base, dont «le Nouvel Observateur» publie ici la photo? Aux Etats-Unis? En Russie? Non, dans le Périgord, sur le plateau de Domme, à côté de l’aéroport de Sarlat. Le lieu est officiellement (et pudiquement) appelé «centre radioélectrique». Là, le service français d’espionnage, la DGSE, surveille quotidiennement des centaines de milliers – des millions? – de discussions téléphoniques, d’e-mails, de fichiers ou de fax. C’est le site principal des «grandes oreilles» de la République. (….)

Tous les pays sont exposés, même les alliés. Les membres de l’Union européenne aussi? «Bien sûr, dit ce responsable. Grâce aux satellites, on peut espionner tout le monde de chez soi. Pas de coups tordus, pas de risque d’incidents diplomatiques. C’est pour cela qu’on a tant investi…»
Les satellites visés en priorité? «Ceux qui peuvent nous livrer le plus de renseignements politiques et économiques», dit un homme de l’art. Les Inmarsat, par exemple. Grâce à eux, n’importe qui peut téléphoner, envoyer un e-mail ou un fax, de n’importe quel endroit du globe (ou presque). Pour cela, il suffit d’une petite valise de 2 kilos. Au début, en 1982, les abonnés de ce service étaient essentiellement des marins de métier et des compagnies pétrolières. Puis la clientèle s’est élargie aux plaisanciers fortunés. «Une aubaine pour l’espionnage économique! Vous n’imaginez pas tout ce que ces hommes d’affaires disent en clair au téléphone depuis leur bateau, explique un spécialiste. Au milieu de l’Océan, ils se croient à l’abri. Ils parlent contrats, projets, découvertes…» Ce n’est pas tout. La société Inmarsat a passé desaccords avec la plupart des grandes compagnies aériennes et 650 avions d’affaires. Lorsque, en vol, un passager téléphone, la communication transite par ces satellites… à la satisfaction des «grandes oreilles». On utilise aussi Inmarsat sur terre, le plus souvent à partir des points chauds de la planète, mal équipés en téléphonie. Au total, la compagnie a 200000 abonnés: journalistes, diplomates, fonctionnaires internationaux, responsables d’ONG… «Pour espionner cette clientèle de choix, pas besoin d’ordinateur très puissant, dit un expert. Par un satellite Inmarsat passent au maximum 2000 communications simultanées. C’est dix à cinquante fois moins que les autres.»
Les autres, ce sont les poids lourds de la téléphonie mondiale: les Intelsat, Eutelsat etPanAmSat. Par eux transitent, chaque jour, plusieurs milliards de messages, venus de tous les continents. «Impossible de les ignorer, dit un homme de l’art, mais difficile de les traiter en entier. Dans leur faisceau, il faut choisir les segments qui nous intéressent.» Et notamment repérer les canaux loués par des militaires, des diplomates ou des entreprises. Certaines compagnies utilisent en particulier un nouveau service peu cher, le VSAT: ce réseau leur permet de connecter en permanence tous leurs établissements dans le monde. Ainsi, à Domme et à Kourou, la DGSE «aspire» le trafic de l’Intelsat 801, qui assure des milliers de liaisons VSAT entre l’Amérique et l’Europe.
Les gros satellites transmettent aussi internet. Ils sont devenus des autoroutes – des back bones – pour la Toile. «10% du trafic passe par là, dit un spécialiste. C’est peu, mais ces 10%-là, on peut les intercepter: le reste, qui transite par les câbles en fibres optiques, c’est autre chose…» Dans le centre de Mayotte, on attend avec impatience le nouvel Intelsat 902, qui va dans quelques mois fournir des back bones en Afrique, en Asie et dans une partie de la Russie. Il sera positionné à 62° est, juste au-dessus de l’île française de l’océan Indien…
Autres types de satellites visés: les régionaux, qui n’«arrosent» qu’une partie de la planète. Ainsi, les Arabsat pour le Moyen-Orient et le Maghreb. «Ah, les Arabsat! soupire un ancien des écoutes. Dans les années 80, ils nous en ont livré, des informations! Sur Kadhafi pendant le conflit du Tchad ou sur Israël au moment de l’invasion du Sud-Liban.»
Enfin il y a les nationaux. Certains pays sont trop pauvres et trop vastes pour installer un réseau de câbles téléphoniques sur l’ensemble de leur territoire. Pour relayer leurs communications internes, ils utilisent des satellites: les Raduga en Russie, les Mabuhay aux Philippines ou les Dong Fang Hong en Chine.

Mais la multiplication des opérateurs satellites, ils sont plus de cent aujourd’hui!  pose un problème à la DGSE. «Chacun code son faisceau et ne rend pas publique la clé de déchiffrement», dit un ancien responsable. Pour obtenir le précieux sésame, il faut mobiliser toutes les ressources du service secret. «Il y a plusieurs méthodes, pas toujours propres, continue l’homme de l’art. On peut négocier avec l’opérateur. On lui dit: la France vous confie une partie de son trafic international, en échange vous nous donnez ce protocole confidentiel Autre technique: «Soudoyer un cadre de l’entreprise ou lui promettre une médaille.» Ou encore: «Si l’on apprend qu’un service secret étranger a ce logiciel, le négocier contre autre chose.» On peut aussi s’introduire discrètement dans les locaux de l’opérateur et voler la précieuse disquette. «A la DGSE, il y a un service très compétent pour ce genre de cambriolage», dit l’expert. Reste la méthode maison: découvrir soi-même le code. «Mais cela peut prendre beaucoup de temps. Entre-temps, on rate beaucoup de choses…»

Ainsi, depuis quelques mois, un satellite tourmente particulièrement les ingénieurs du service secret français. Il s’agit de Thuraya, lancé en octobre dernier par une compagnie d’Abu Dhabi. La firme émirati propose àses abonnés une couverture totale du monde arabe en téléphonie mobile. Son service sera opérationnel courant avril. Ses clients: des hauts fonctionnaires syriens, des hommesd’affaires libyens, des militaires égyptiens…autant de cibles pour la DGSE. «Il y a un hic, dit cet expert. Les Emirats financent l’opération, mais c’est la firme Hugues, le géant de l’aéronautique américaine, qui gère le système. Et en matière de codage de faisceau, Hugues en connaît un rayon… Pour l’instant nous n’avons pas trouvé la solution
Avec plus ou moins de difficultés, des dizaines de faisceaux sont donc, chaque jour, aspirés par les paraboles de la DGSE. (…..) NDLR : c’était en 2001, imaginons aujourd’hui !

La sélection s’effectue grâce à un dictionnaire d’«adresses» et de mots-clés.
«Adresses»? Il s’agit de la liste des numéros de téléphone et des e-mails que la DGSE entend surveiller en permanence. Ambassades, ministères, organisations internationales, ONG, multinationales… il y en a plusieurs milliers, de tout pays, dans les ordinateurs des «grandes oreilles». Quand cette adresse apparaît dans le faisceau d’un satellite espionné, la communication est automatiquement enregistrée et envoyée à Paris. Dans le jargon des écoutes, ce type de surveillance a un nom:la «routine».
Mots-clés? C’est une autre manière de filtrer le flux de données. «Ce peut être un nom propre, un surnom, une formule chimique, de l’argot, un acronyme, dit un expert. On les saisit dans un fichier et on attend…» Dès que l’un de ces mots apparaît, l’ordinateur revient en arrière et enregistre la communication depuis le début. A la DGSE, on appelle cela la «veille» ou «la pêche au chalut…».
«Pour les e-mails, ces tris informatiques sont très efficaces», dit un autre spécialiste. Il ajoute: «Etant donné les capacités des ordinateurs, on peut, de la sorte, filtrer plusieurs millions de messages électroniques par minute. Un bon moteur de recherche suffit. Il faut simplement l’adapter à nos besoins.» Selon toute vraisemblance, la DGSE utilise l’outil de recherche développé par la société française Lexiquest. (…..)

Après le tri, l’écoute. A la DGSE, quelques centaines de personnes – 300, 500? – passent leurs journées casque sur la tête. «Sachant qu’un bon professionnel peut traiter quotidiennement 50 à 100 conversations, faites le calcul!», dit un vétéran. Cela fait plus de 15000 par jour soit au moins 5 millions par an. (…..) Menace sur la vie privée? Sans aucun doute. Parmi les millions de communications écoutées, il peut y avoir l’une des vôtres. Le risque sera d’autant plus fort que vous téléphonerez vers une zone peu câblée, comme l’Afrique, la Russie ou les Dom-Tom. Rien n’interdit à la DGSE d’intercepter vos conversations ou vos e-mails, pour peu que ceux-ci passent par un satellite. Pire, cet espionnage est implicitement autorisé par la loi de 1991 qui institue la commission de contrôle des écoutes. Son article 20 dispose, en effet, qu’il n’est pas dans le pouvoir de cette nouvelle commission de contrôler les «mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer […] la surveillance […] des transmissions empruntant la voie hertzienne [ndlr: c’est-à-dire les airs] En d’autres termes, l’instance pourra tout surveiller, sauf les écoutes «satellitaires».
«Cette dérogation a été exigée par les plus hautes autorités de l’Etat, confie un ancien conseiller du ministre de la Défense de l’époque, Pierre Joxe. Pourquoi? Souvenez-vous, à cette époque, la DGSE lançait un vaste plan de modernisation de ses "grandes oreilles". Il était hors de question de le compromettre.» Un ancien de l’Elysée dit: «Nous voulions laisser les coudées franches au service secret, ne pas l’enfermer dans son quota d’écoutes autorisées…»
Les parlementaires n’y ont vu que du feu. Ils auraient dû être plus curieux. Ils auraient appris que beaucoup de pays démocratiques avaient déjà sévèrement réglementé l’action de leurs «grandes oreilles». Depuis 1968, en Allemagne, huit experts indépendants nommés par le Parlement contrôlent les écoutes du BND: ils forment la commission dite «G 10». Leur pouvoir est considérable. Ils peuvent interroger tous les personnels du BND et voir l’ensemble de la production des écoutes. «Le but: protéger la vie privée des Allemands», dit le professeur Claus Arndt, qui a siégé à cette commission de 1968 à 1999. Ainsi, lorsqu’au cours d’un tri aléatoire, le nom d’un citoyen ou d’une firme allemands apparaît, le BND doit l’effacer, sauf autorisation expresse de la commission. «De même, dit le professeur Arndt, le service secret doit soumettre la liste de tous les mots-clés qu’il entend utiliser. Il n’a pas le droit d’y inclure le nom d’un Allemand.» En juin prochain, une loi devrait autoriser les super-contrôleurs à visiter n’importe quel site du service secret allemand, y compris la station de Kourou. Si la France refuse, le président de la commission pourrait demander le retrait du BND de la base guyanaise (voir encadré p. 24).
En Australie, les «grandes oreilles» sont contrôlées par un inspecteur général désigné par le gouvernement. Il a tout pouvoir pour vérifier que le DSD, le service d’espionnage, applique des lois très restrictives. Par exemple, toute information sur un Australien recueillie par les stations d’écoute doit être détruite. Un rapport de destruction doit même être remis à l’inspecteur général. Au Canada, c’est un commissaire désigné par le Parlement qui assure cette mission de contrôle. Chaque année, il rédige un rapport public. Aux Etats-Unis, un inspecteur général et le ministre de la Justice surveillent l’action de la NSA.
A quand la France? Ces derniers mois, les parlementaires se sont intéressés aux «grandes oreilles»… américaines. La commission de la Défense a rendu récemment un rapport vindicatif sur «Echelon» et la NSA (1). Il est temps qu’elle étudie aussi les pratiques de la DGSE et propose des moyens de les contrôler. Le moment serait bien choisi. Une révolution des «écoutes» se prépare. Le service secret envisage d’investir massivement dans l’interception des câbles sous-marins (voir encadré ci-dessus). Avant qu’il ne se lance dans l’aventure, ne pourrait-on lui imposer quelques règles démocratiques?

VINCENT JAUVERT
vjauvert@nouvelobs.com

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Source: hebdo.nouvelobs.com



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