Un 14-Juillet explosif

Publié le par Hamid Kelley

Par Stéphane JOAHNY et André VEYRET
Le Journal du Dimanche
Les célébrations du 14-juillet sont l'occasion pour l'armée de défiler sur les Champs-Elysées devant son chef, Nicolas Sarkozy. Cette année, les bruits de bottes devront couvrir les grincements de dents. Les tensions montent entre le président et la Grande Muette. La gestion du drame de Carcassonne et la réforme des armées ont creusé le fossé entre l'Elysée et les troupes.

En cette veille de 14-Juillet, le malaise est grand dans les popotes. Simple coup de blues ou véritable désamour? La Grande Muette s'interroge à la veille de la réforme la plus importante depuis sa professionnalisation voici douze ans. Une cure de minceur sans précédent avec la suppression de 54.000 postes dans le cadre du Livre blanc de la Défense, conjuguée à la perspective pour une cinquantaine de communes de voir disparaître toute présence militaire. "Une réforme gigantesque", reconnaît-on à l'Elysée, où l'on insiste sur "l'opportunité donnée aux armées de se projeter dans le XXIe siècle". C'est pourtant envers l'Elysée et son hôte, chef des armées, que les critiques sont les plus vives. Il est question de "rupture", celle du pacte de confiance. Une fissure s'est ouverte entre le président de la République et l'armée au moment du drame de Carcassonne (dix-sept blessés par balles lors d'une journée portes ouvertes au 3e RPIMa, le 29 juin), où Nicolas Sarkozy a qualifié les militaires "d'amateurs".

Le général qui parle était, il n'y a pas si longtemps, l'un des grands chefs des armées. "On connaît l'impulsivité du chef de l'Etat. Il n'empêche que si des fautes ont effectivement été commises par quelques-uns, il fallait les sanctionner sévèrement sans pour autant y associer l'ensemble de l'institution. Lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, M. Sarkozy soutenait mieux ses policiers. Il s'attachait à souligner, face à une bavure, que celle-ci n'entachait pas l'ensemble des fonctionnaires, auxquels il ne manquait pas de redire sa confiance." Ce haut militaire observe que les relations entre les militaires et leurs chefs ont toujours quelque chose d'un peu particulier: "C'est un pouvoir quasi sacré, presque féodal, qui repose sur la confiance."

Pour un autre officier, Nicolas Sarkozy a manqué de sérénité: "Il nous a humiliés. Il sera difficile de lui pardonner cette faute." Un troisième interlocuteur croit savoir pourquoi l'homme, hier si proche des policiers, manifeste cette méfiance à l'égard des militaires: "Pistonné par Pasqua, il a fait son service militaire à Balard. Il a passé son temps à vider des corbeilles et rentrait chez lui tous les soirs. Ce n'est pas l'armée..." Autre grief: après sa prise de fonction, Nicolas Sarkozy n'a pas jugé utile de se faire présenter les forces armées au cours d'un grand show comme ceux qui furent organisés pour ses prédécesseurs. La nomination d'Hervé Morin au ministère de la Défense, relégué à la douzième place du gouvernement, a été appréciée négativement.

"Le Président devrait aller à leur rencontre, parler avec eux..."

Le malentendu est tel qu'aux yeux des militaires, chaque geste du chef de l'Etat est perçu comme une marque de défiance à leur égard. "Il a repoussé après le 14-Juillet l'annonce des restructurations, relève un officier supérieur. De quoi avait-il peur? Nous sommes disciplinés et nous obéissons à nos chefs. Nous avons confiance en eux. Le chef d'état-major, le général Georgelin, est solide. Le général Irastorza, patron de l'armée de terre, est lui aussi une figure respectée." Ce dernier a remplacé, le 2 juillet, le général Cuche, qui affirme que seul le drame du 3e RPIMa à Carcassonne a motivé sa démission.

Car, pour la communauté militaire, même si la pilule est dure à avaler, la réorganisation des armées est jugée nécessaire. Un chef qui était à l'époque en première ligne avoue: "Nous savions que les mesures prises il y a dix ans seraient insuffisantes. Aujourd'hui, l'armée est à bout de souffle. Nos soldats compensent la pauvreté de leurs moyens par le fameux système D. Ce n'est plus tenable. Il est préférable d'avoir moins de monde mais mieux équipé, que beaucoup de gens sans moyens. Combien de fois nos troupes terrestres ont-elles sacrifié des missions extérieures parce qu'elles n'avaient pas les moyens de les accomplir? Les aviateurs et les marins sont logés à la même enseigne: les avatars de l'opération du Ponant* l'illustrent bien."

Un officier de cavalerie confirme: "Un seul escadron bien équipé, avec la totalité de ses blindés en état de marche, est plus efficace qu'un régiment qui compte et recompte en permanence les véhicules que seules les prouesses des mécanos sont capables de faire rouler. Payer moins d'hommes en leur donnant plus de moyens, c'est une bonne solution." A condition, s'inquiète un autre officier général, de "ne pas casser l'outil militaire": "Si le budget est maintenu et permet d'équiper convenablement les troupes, ce sera une bonne réforme. Sinon, on court au désastre. Et la France devra renoncer à rester dans le peloton des grandes puissances."

La cassure avec le pouvoir, profonde, n'est peut-être pas irrémédiable. "Il faudrait faire du Hernu. Il était très fort pour aller trinquer avec les soldats dans les popotes, suggère un "galonné
". Le Président devrait aller à la rencontre des militaires, parler avec eux, voir ce qu'ils font. Il constaterait qu'il a devant lui des professionnels dévoués qui aiment leur métier et sont fiers de servir leur pays." L'armée est une grande sentimentale: elle voudrait qu'on l'aime. Et surtout qu'on le lui dise.
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