Tchad: Au cœur de l’ethnie ou l’instrumentalisation politique

Publié le par Hamid Kelley

Objet d’étude anthropologique, la notion d’ethnie est un principe de gestion politicienne de l’Etat.Une préoccupation majeure du débat politique fixe la réflexion des anthropologues et les spécialistes du champ Etat – pouvoir – Ethnie. Pourquoi l’ethnie se laisse t-elle se mobiliser si aisément par les sphères du pouvoir?

D’un point du continent à l’autre, les connotations socio- anthropologiques et ses dérives sont riches d’
enseignements. De M’bokollo à Milandou , les accointances entre le champ politique et le repli identitaire (ethnie) traduisent des représentations propres à chaque Etat.

Au Tchad, les schémas des « groupes », comme on le dit si pudiquement dans les manuels scolaires, mais qui véhiculent une idéologie d’ethnisation, trahissent une vision réductionniste de l’ethnie et les obscures orchestrations politiciennes du couple Ethnie – Etat.
Numériquement, l’ethnie du président Deby est une entité qui se dissout sans résistance dans la
carte démographique. Avec un seuil de 1% de la population tchadienne, le « village du Président » a une autorité de fer sur les canaux et les circuits du pouvoir d’Etat. Or, la notion de « village électoral » ne fonde pas le pouvoir pseudo - démocratique d’Idriss Deby. L’ethnisme ou tribalisme qui parfume les couloirs présidentiels de son favoritisme est dont la seule arme d’unité autour du pouvoir central. Idriss Deby s’est entouré d’une clique de dignitaires qui ne tirent aucune légitimité populaire mais qui par les ficelles du nombrilisme et la détention des leviers politiques ont assujetti et relégué en seconde zone les autres « groupes ». De sa racine anthropologique, la notion d’ethnicité selon Weber s’est transformée en ethnisation. Une somme d’instrumentalisation de l’ethnie pour des fins politiciennes. Un recul historique permet d’analyser la structuration de l’action politique du régime Deby. Fixée au cœur du pouvoir, l’ethnie « présidentielle » tente d’instrumentaliser les autres « factions » pour tirer une légitimité démographique et politique. L’ethnie est mangée à toutes les sauces politiques.
Facteur d’union, l’ethnisation est une fibre de désunion. C’est sur cette logique que s’appuie le
système Deby. La notion d’Etat ou de Nation se disloque dans le repli villageois.
C’est ainsi que Barth considère que les distinctions ethniques se fondent et s'entretiennent dans des interrelations et par des mécanismes d'exclusion et d'incorporation définissant des frontières. C’est le fil d’Ariane qui sert d’artifice politicien des guerres civiles. Ainsi, le temps d’une
alliance « l’ethnie- bourreau » s’associe avec des « leaders » d’autres ethnies pour former le clan-organisateur. Manne pétrolière, marchés publiques, administration, armée, économie, l’union ethnique devient le prétexte pour asseoir la domination.

Moudang, Zaghawa, peul, Sara, arabe, gorane, ouddaien, kanembou, hadjarai… Deby surfe sur les frontières ethnologiques pour politiser les préoccupations du quotidien : Les voies de communication, la santé, l’eau potable. La mise en route des infrastructures obéît à des critères d’appartenance au cartel d’union ethnique. Les conclusions de Milandou sur l’ethnopolitisme s’avèrent être des réalités sociopolitiques. Le personnel politique, dans les tribunes du village et insidieusement dans les sphères publiques, fomente des discours de la haine, de xénophobie pour conserver la primauté.
Du village sur la Nation. L’allégeance à « l’ethnie présidentielle » est l’unique forme d’accession aux manettes du pouvoir. Compromission, soumission, marchandage, l’ethnisation de l’
appareil de l’Etat assure la survie du régime de Deby. Le mythe de l’ethnie comme principe fondateur du pouvoir étend ses tentacules dans l’armée, bras sécuritaire du régime. Les Itno et affidés politico-militaires servent de bouclier à Idriss Deby. La récente promotion du Général Itno confirme le lien ombilical entre l’appareil de l’Etat et les milieux militaires. C’est alors que militaires et politiciens de tout bord concluent des alliances fébriles de maintien ou d’accession au sommet de l’Etat. Le régime de N’djamena en près de 18 années est l’expression de « mariages ethniques », des alliances militaires fondées sur le principe de « groupes ». « L’équilibre national » a pour point central l’ethnie Zaghawa (pour mémoire, Deby est d’ethnie bideyat d’Ennedi, pour des raisons politique; il s’identifie Zaghawa) autour duquel gravitent des entités hétéroclites assoiffées du « miel et lait ».

L’ethnie (du moins ce qui convient de circonscrire au seuil de l’élite) s’associe aisément au pouvoir d’Etat pour la conservation du personnel politique, qui ne jouit pas de l’onction démographique. Au bout de cette logique d’ethnisation, se joue le contrôle des privilèges d’Etat. Le système politique de N’djamena est une juxtaposition d’appartenance ethnique, de marchandage politico-militaire installé au cœur de l’Etat.

Loin de sa substance socio- anthropologique, l’ethnie est une arme de destruction politique. Deby manipule avec un machiavélisme déroutant la fibre ethnie. Diabolisation et instrumentalisation ethnique font feu de tout bois à N’djamena, attisant l’idée de la suprématie ethnique et la xénophobie.

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1- Amselle, M’bokollo, Au cœur de l’ethnie, La découverte, Paris, 2005, 225p.
2- Le politicien congolais et les représentations collectives du pouvoir d’Etat, Anthropologie et Sociétés, vol. 25, n° 3, 2001.
3- Expression du pr. Gabriel Nlep. La notion renvoie au vote ethnique massif qui assure au politicien une légitimité dans « son » village.

Source:  N’djamena-matin

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