Le rôdeur mortel de Fada ou « death stalker »
Le rôdeur mortel de Fada ou « death stalker »
Par Dr Djiddi Ali Sougoudi, Médecin
Petite bestiole, triste aura. Rencontre fortuite, réaction immédiate
à coups de dard au venin mortel. Le vœu de tout oasien et de tout saharien est de ne point se mettre en contacte avec cette bestiole. Il s’agit du scorpion du Sahara tchadien dont l’espèce la plus redoutable, le leiurus
quinquestriatus, est malheureusement la plus fréquente à Fada et à Faya. Le responsable (Abid Younous) de l’association en gestation, SOS-Scorpion,
a pu faire les photos du scorpion de Fada pour envoyer à un éleveur de
scorpions en France. Son identité tomba alors et c’est l’effroyable
Leiurus quinquestriatus qui sème la mort dans l’Ennedi et peut-être au
Borkou et au tibesti.
Le leiurus est de la famille de buthidés, un arthropode de couleur
jaune, mesurant 7 à 10cm, et se distingue des autres scorpions par les
deux derniers anneaux de sa queue qui sont sombres et surtout de ses
pinces qui sont fines. D’autres espèces de scorpions dangereuses du
continent africain n’en manquent pas (tableau I).
Tableau I- Espèces de scorpions dangereuses du continent
Genre | Espèce | Distribution | Remarque |
Androctonus | aeneas | Afrique nord-saharienne | Faible densité, espèce rare |
Androctonus | australis | De l’Algérie à l’Egypte | Espèce la plus dangereuse |
Androctonus | crassicauda | Afrique du Nord | Espèce peu fréquente |
Androctonus | mauretanicus | Endémique au Maroc |
|
Leiurusquinque | striatus | Afrique Nord-sahara Est (Egypte) | Dangerosité élevée |
Hottentota | franzwerneri | Endémique au Maroc | Deux sous-espèces (Buthotus) |
Buthusoc | citanus | Maghreb, sahel | Nombreuses sous-espèces et dangerosité variable |
Parabuthus | Granulatus transvaalicus | Afrique du Sud | Répartition disjoint du genre en Afrique |
Son venin est de loin le plus foudroyant et la bestiole elle-même
est hyper agressive face à la moindre rencontre. Une agression de défense qui fait mouche. Les anglo-saxons le surnomment « death stalker » (queue de la mort ou le semeur de la mort) et les francophones, « le rodeur de la mort ». Le Leiurus quinquestriatus est si dangereux qu’il est vivement déconseillé de le manipuler ou de l’élever en terrarium.
La piqûre provoque des douleurs, d’hypertension, de paralysie
respiratoire et donc la mort. Les jeunes enfants en paient un lourd tribut
mais aussi les personnes âgées. La piqûre est d’autant dangereuse qu’elle soit près du cou ou du thorax ou d’un grand vaisseau (artère ou veine). La dangerosité du venin dépend aussi de la taille du scorpion (si la taille < à 2cm, le venin est peu actif chez l’homme), de la saison (piqûre
redoutable en saison chaude). La quantité du venin injecté est variable et
dépend de l’animal.
L’appareil venimeux des scorpions est constitué d’une vésicule à
venin incluse dans le telson qui est le dernier anneau du post-abdomen ou « queue ». La vésicule contient des glandes à venin et est entourée d’une forte couche musculaire striée permettant au scorpion d’expulser le venin mais aussi de contrôler cette expulsion. Grâce à ce mécanisme il peut exister alors de piqûres blanches ou « sèche », donc sans inoculation de venin.
Cliniquement l’évolution de l’envenimation est rapide, après une
phase de latence d’une à deux heures pendant lesquelles le seul signe est la vive douleur. On peut distinguer trois stades de gravité croissante :
stade1 : envenimation bénigne : douleur intense immédiate, à type de
broiement et de brûlure.
Stade 2 : envenimation sévère : une à deux heures après la piqûre, c’est l’apparition des signes systémiques de la série muscarinique
principalement : sueurs profuses, troubles digestifs (diarrhées,
vomissements, coliques), parfois priapisme chez le garçonnet,
hypotension artérielle, parfois bradycardie, signes d’encombrements
pulmonaires, dyspnées.
Stade 3 : envenimation gravissime : c’est le stade de collapsus
cardiovasculaire, accompagné de difficultés respiratoires (oedème
pulmonaire, bronchospasme, cyanose). On peut noter une hyperthermie, troubles du rythme cardiaque, signes électrocardiographiques d’ischémie myocardique. A ce stade, l’évolution est fatale en quelques heures, parfois en quelques minutes. Les perturbations biologiques sont :
hyperglycémie (2 à 2,5g/l), hyperleucocytose (20.000 à 40.000 éléments).
Le traitement de l’envenimation : en raison du caractère imprévisible
et brutal des défaillances cardio-pulmonaires et neurologiques, tout
victime de piqûre, tout spécialement l’enfant et le jeune adolescent, doit
être pris en charge dès que possible dans une unité de soins intensifs
(Service de réanimation).
En cas de piqûre il faut :
garder son calme
ne pas faire de garrot (inutile et n’empêche pas la monté du venin. Il
peut provoquer une ischémie d’un membre garrotté, donc l’amputation !)
ne pas faire d’aspiration à la bouche (cela provoque l’envenimation
chez celui qui aspire).
Ne pas faire des scarifications du site ( cela dissémine le venin et
laisse porte ouverte aux infections.)
immobiliser la région piquée
appliquer de la glace sur le site de la piqûre ou du paracétamol per os
pour lutter contre la douleur
essayer d’identifier le scorpion mis en cause (Leiurus et Androctonus
sont les plus dangereux).
Eviter toute alimentation pendant 8 à 12heures.
La sérothérapie (administration du sérum antivenimeux, SAV), traitement
spécifique, est à mettre en œuvre impérativement devant toute piqûre
potentiellement grave. La sérothérapie n’est plus efficace dès lors qu’un délai de deux heures après la piqûre est dépassé. On peut faire recours à une corticothérapie pour accompagner une sérothérapie mal tolérée.
Les accidents de type anaphylactique ou anaphylactoide (rare) seront traités par un remplissage vasculaire et catécholamines.
L’œdème et l’érythème autour du site d’envenimation sont traités par
d’anti-inflammatoires.
La prévention consiste à éviter l’envenimation. Le risque maximal de
piqûre se situe du crépuscule au milieu de la nuit, tranche horaire
habituelle de sortie de ces animaux lucifuges. Des chaussures fermées et l’inspection visuelle des endroits d’habitation constituent un minimum d’attention requis. Les scorpions étant étonnamment fluorescents au rayonnement ultraviolet, il faut se munir d’un équipement léger d’une
lampe émettrice de lumière de Wood, peu onéreux. Dans l’obscurité, les scorpions brillent d’une lumière jaune ou jaune vert et sont visibles à plusieurs mètres. Il faut éviter de laisser traîner au sol tout ce qui peut constituer un refuge pour les scorpion : serpillières, vêtements, chaussures, carton, écorce de bois, amoncellement des briques et autres
cailloutis etc...
Dr Djiddi Ali Sougoudi
Médecin