Un ancien Premier ministre au conseil de quartier dans une ville française

Publié le par Waldar

Un ancien Premier ministre au conseil de quartier
À 60 ans, Fidel Moungar, né dans le sud du Tchad et ancien Premier ministre de son pays, se dit « simple citoyen » d'Alençon. : Jean-Yves DESFOUX

Fidel Moungar a gouverné le Tchad en 1993. Il vit aujourd'hui à Alençon. Tiré au sort le 22 novembre, à la mairie, il va siéger avec d'autres habitants au conseil de démocratie locale, en toute humilité.

Au mois de février, quand seront installés les « conseils de démocratie locale » voulus par le nouveau maire socialiste d'Alençon, Joaquim Pueyo, le quartier de Guéramé aura un défenseur de choix. Un habitué des joutes politiques, dans des circonstances autrement plus mouvementées.

 

Fidel Moungar, chirurgien des hôpitaux d'Alençon et Mamers, a été Premier ministre du Tchad entre avril et novembre 1993, sous Idriss Déby. Sa règle de vie ? La conviction qu'il faut contribuer à la vie en société, où qu'on soit. « Si vous ne voulez pas être géré par les autres, prenez part à la gestion », sourit-il. Il a donc « géré » le quotidien de dix millions de Tchadiens, porté par la volonté d'être utile.

Déjà, au lycée, ce fils de commerçant prenait en main les problèmes des autres. Plus tard, à la faculté de médecine d'Amiens, où il étudie grâce à une bourse de l'Organisation mondiale de la santé, il anime des mouvements de jeunes chrétiens. La guerre civile éclate au Tchad alors qu'il termine ses études. On est en 1979. « Je voulais exercer dans mon pays, mais c'était devenu impossible. »

Pourtant, le jeune médecin, alors âgé de 31 ans, veut faire quelque chose pour le Tchad. Il entre en politique. Depuis Péronne (en Picardie) où il travaille, il fonde un parti, l'Action tchadienne pour l'unité et le socialisme. « On rêvait. C'était l'époque du lyrisme sur le thème du partage... » L'Actus lutte, de loin. Et se fait connaître. Quand Hissène Habré arrive au pouvoir, en 1983, Fidel Moungar refuse le portefeuille de ministre de la Santé.

Idriss Déby, appuyé par la France, renverse Habré en décembre 1990. Fidel Moungar est à nouveau demandé : on a besoin des élites pour gouverner le pays. « J'ai pu retourner au Tchad. Mais j'avais épousé une Picarde, j'avais une famille et un travail en France. J'ai proposé d'aider, de loin. »

Fidel Moungar a une vision intransigeante de la « bonne » politique : ne pas profiter du pouvoir pour s'enrichir ; conserver un salaire à côté pour rester indépendant ; servir, sans se servir. Une approche dictée par son éducation protestante.

Sa position séduit François Mitterrand, qui le fait convoquer à l'Élysée pour le convaincre d'accepter, en 1992, le ministère tchadien de l'Éducation nationale. « Il m'a dit : 'Vous êtes intéressant, jeune homme'. Et il m'a confié un milliard de francs pour payer les fonctionnaires et redresser tout le système scolaire. » Sa première tournée ministérielle, il la fait à pied. L'argent public ne doit servir qu'à son pays. Grâce aux fonds français, des enseignants se sont acheté des vélos qu'ils appellent « Fidel Moungar »...

Cette gestion financière déplaît à Idriss Déby, qui le charge tout de même d'organiser la grande conférence nationale de 1993 pour l'élection démocratique d'un premier ministre. Face à quinze candidats, le nom de Fidel Moungar sort des urnes.

Le médecin ne change pas sa ligne de conduite : pas de résidence d'État, une honnêteté intransigeante. « Je suis le seul ministre tchadien dont le directeur de cabinet a été mis en prison pour avoir respecté les consignes de son chef ! » Après deux tentatives, Idriss Déby parvient à évincer son encombrant Premier ministre.

Le hasard des affectations dans les hôpitaux français amène peu après Fidel Moungar à Alençon. Sa femme Corinne, qu'il avait connue au bloc opératoire de Péronne, est devenue ici cadre hospitalier et... conseillère municipale de la nouvelle majorité.

Fidel l'a encouragée à prendre part à la vie publique. « En s'occupant des enfants, en faisant mal ¯ il le dit lui-même ¯ la cuisine, il me permet d'assister aux réunions, dit-elle. Indirectement, il participe déjà à la vie municipale. » A son tour, elle le convainc de se porter candidat au conseil de démocratie locale. Il est tiré au sort parmi les volontaires. « J'ai dit à ma femme que nous devrions jouer au Loto ! »

Fidel Moungar ne jouera pas au Premier ministre dans son quartier. « J'ai si souvent parlé que j'adore me taire. Et puis je ne suis pas là pour faire valoir mes idées, même si je suis prêt à les défendre bec et ongles, mais pour être utile, si je peux. »

Ce « simple citoyen d'Alençon » est tout de même invité, par l'université américaine de Harvard, à une conférence internationale sur la gouvernance... Il ne désespère pas, un jour, de retourner au Tchad pour gouverner son pays.

 

Béatrice LIMON.


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