LETTRE A HISSEIN HABRE

M. le Président et cher ami,


Hier, devant la télévision, j'ai pensé à vous en voyant les images insoutenables de Charles Taylor, ancien chef d'Etat africain, enchaîné et livré à la Justice de nos maîtres blancs. Alors j'ai pensé que c'était le retour de la Traite négrière avec les dirigeants africains qui vendent aux négriers blancs leurs frères de race. Me sentant bafoué dans ma dignité d'homme noir, je me suis demandé s'il était possible de voir un jour, je ne dis pas un chef d'Etat, mais un simple citoyen européen traduit devant un tribunal africain. Comment les Blancs peuvent-ils donc nous respecter si, nous autres Africains, nous ne nous respectons pas ?
Le traitement de votre affaire par les autorités sénégalaises illustre dans un éclat tragique tout le mépris que les Africains éprouvent pour eux-mêmes.

Après que la Justice sénégalaise eut dit le droit, voilà que l'autorité politique qui a juré solennellement de respecter les institutions de la République se trouve être la première à la violer en la désavouant !

Vous vous rappelez, mon cher Habré, comment, après le verdict du tribunal qui vous était favorable et, à la surprise générale, l'Etat avait mis en branle le commissaire de la Dic et le Procureur de la République pour tenter de vous expulser illégalement du Sénégal ? Pire encore, devant le rejet unanime du peuple sénégalais et des patriotes africains, notre gouvernement a encore cherché un alibi en se déchargeant sur ce machin de l'Union africaine que manipule avec ses pétrodollars cet histrion libyen connu pour son racisme envers les Nègres et reconnu pour sa haine à votre égard depuis que vous avez brisé ses rêves d'annexion de la bande d'Aouzou.

Mais personne n'est dupe. Toute cette mascarade orchestrée à Addis Abeba pour être validée à Banjul lors du prochain sommet des chefs d'Etat n'est que de la poudre aux yeux des Africains écœurés et indignés par l'attitude de soumission du Sénégal devant les exigences de la Belgique. Nul n'ignore, mon frère, que votre destination n'est autre que Bruxelles, car le Sénégal, ce pays naguère cité pour son hospitalité légendaire et son sens de la dignité, est aujourd'hui prêt à marcher sur votre cadavre pour siéger au Conseil de sécurité. Sinon, qu'est-ce qui fait courir le pouvoir sénégalais qui se comporte maintenant comme s'il était le plaignant ? Il a fallu que la Belgique lui fasse ce honteux chantage pour qu'il accepte de vous vendre aux Blancs dans l'espoir illusoire d'un siège à l'Onu, pour lequel il a rompu sans scrupules ses relations avec la Chine Taïwan. Quelle déchéance morale pour mon pays !

Léopold Sédar Senghor, qui avait à cœur la dignité de l'homme noir, doit certainement se retourner dans sa tombe devant l'attitude indigne de son Sénégal face au diktat des peuples blancs. Vous souvenez-vous du jour où ce digne chef d'Etat vous a reçu à Dakar, au plus fort de votre lutte contre le dictateur libyen ? Senghor vous avait encouragé à tout mettre en œuvre pour anéantir les visées expansionnistes de l'usurpateur qui continuait à considérer les Nègres comme des esclaves. Il vous avait même recommandé à ses amis Hassan II et Anouar El Sadate, qui vous ont alors aidé dans votre guerre de libération contre les envahisseurs français et libyens. Réunis secrètement dans l'île grecque de la Crète , repaire du Minotaure, ce monstre moitié homme, moitié taureau, ces derniers avaient monstrueusement procédé à la partition de votre pays. Le seizième parallèle devait être la frontière entre le Tchad libyen au nord et le Tchad français au sud. Vous avez aussitôt administré une cuisante défaite à la France et à la Libye en les chassant de votre pays qui les attirait comme des mouches par ses richesses minières et surtout par son pétrole. Cette humiliation que vous, en tant que Nègre, leur aviez infligée, ils ne vous l'ont jamais pardonnée et ont cherché par tous les moyens à vous la faire payer. Il leur fallait alors des Nègres de service pour accomplir le sale boulot. Eh bien ! Ces Nègres de service, ils les ont hélas trouvés chez vos frères noirs et dans les organisations de «finance» des droits de l'Homme. A coup d'euros et de promesses onusiennes, ils ont tellement fait perdre la tête à ces pauvres Africains mus par la cupidité et la mégalomanie que, désormais, ils sont prêts à tout pour vous sacrifier, vous leur frère africain, vous leur coreligionnaire musulman, vous l'hôte du Sénégal. L'Afrique restera toujours un continent maudit, car la plupart de ses filles et de ses fils acceptent volontiers de se faire chicoter par les Blancs si seulement ceux-ci leur jettent une poignée d'euros. A cet égard, j'ai eu honte l'autre jour, à l'occasion du match qui opposait les Français et les Togolais. De voir comment les Togolais ont préféré vendre leur honneur en échange de quelques milliers d'euros pour se laisser battre par la France m'a fendu le cœur.

Et pourtant, il n'y a guère longtemps, Londres avait refusé d'extrader le dictateur Pinochet qui résidait en Grande-Bretagne. Où était en ce moment-là la Belgique avec sa compétence universelle ? Mais le comble est que cette même Grande-Bretagne se déclare disposée à faire purger sa peine au Nègre Charles Taylor ! Et puis qu'en est-il de Sharon, le meurtrier de Sabra et Shatila ? Est-ce que la Belgique ose aujourd'hui le réclamer ? Absolument pas ! Seul est concerné par sa compétence universelle le Nègre que vous êtes. Et paradoxalement, ce sont les Nègres qui sont les premiers à accepter d'être ainsi (mal) traités !

Du reste, votre affaire, M. le Président, a déjà largement contribué au recul de la démocratie africaine. Tout chef d'Etat noir qui aurait eu l'outrecuidance de s'imposer devant les Blancs tremble à l'idée de quitter un jour le pouvoir et d'être extradé chez eux. Partout, on commence à s'accrocher désespérément au pouvoir pour faire reculer l'échéance de la prison européenne. Partout, on cherche à gagner du temps, qui en taillant la Constitution sur mesure pour obtenir un énième mandat, qui en choisissant son propre fils comme dauphin, qui en reportant les élections pour des prétextes ridicules.

C'est pourquoi, Hissein, si vos persécuteurs africains avaient bien compris où se situent leurs propres intérêts, ils vous auraient laissé en paix, ne serait-ce que pour éviter de créer un précédent dangereux qui ferait jurisprudence contre eux-mêmes à l'avenir. Quoi qu'il en soit, ni l'argent de Kadhafi, ni les euros des Blancs, ni le siège de l'Onu ne sont à même de réparer l'ignominie dans laquelle est tombé le pouvoir sénégalais en vous vendant à la Belgique. Ah ! La Belgique ! Après tous les méfaits qu'elle a commis en Afrique, les Congolais pillés et décimés, les Rwandais torturés et exterminés, Lumumba découpé en morceaux et jeté dans de l'acide, on a de la peine à croire que le Sénégal puisse encore être aveuglé au point de s'en référer à la Justice belge. Après toutes ces exactions, c'est le Sénégal lui-même qui aurait dû exiger à la Belgique qu'elle lui livre tous les citoyens belges coupables de crimes envers l'Afrique pour qu'ils soient jugés par les tribunaux sénégalais.

La presse occidentale étale sur toutes les chaînes de télévision les amputations de membres qu'aurait perpétrées Charles Taylor. Cette même presse oublie cependant de dire que les spécialistes de ce genre de sévices ne sont autres que les Belges qui l'ont systématiquement pratiqué sur les Congolais tout au long de la colonisation. Et jusqu'au moment où je vous parle, la Belgique continue à donner libre cours à sa sauvagerie et à sa barbarie contre les Noirs : pédophilie au Rwanda du prêtre belge exfiltré de la Justice rwandaise considérée comme une Justice bananière, assassinat de ressortissants africains dans l'indifférence générale, harcèlement policier à l'encontre des immigrés noirs.

Et pourtant, ce sont des Nègres à qui la Belgique a gracieusement accordé la nationalité belge pour les constituer comme accusateurs moyennant des récompenses royales : billets d'avion, hôtels de luxe, comptes bancaires. D'ailleurs, un Sénégalais n'ayant jamais mis les pieds au Tchad a été démasqué publiquement sur les ondes d'une radio par un homme qui l'avait reconnu. Mais le plus cocasse réside dans l'attribution à ces pantins de Nègres de la nationalité belge qui est la plus difficile à obtenir de toute l'Europe. Me croirez-vous, cher Hissein, si je vous disais qu'une Sénégalaise résidant en Belgique, mère d'un Belge, veuve d'un Belge, court depuis des années derrière la nationalité belge ?

L'histoire religieuse nous apprend que lorsque les compagnons du Prophète qui étaient persécutés s'exilèrent en Abyssinie (l'Ethiopie actuelle), auprès du Négus, celui-ci refusa de les livrer aux autorités de leur pays qui réclamaient leur extradition. Ce geste humanitaire fut tellement bien apprécié par la communauté musulmane qu'apprenant la mort du Négus, l'envoyé de Dieu s'empressa de dire des prières pour le repos de son âme. Même nos traditions ancestrales blâment celui qui livre un réfugié à ses poursuivants. A cet égard, admirable fut l'attitude du Président Senghor quand le dictateur sanguinaire de Conakry lui réclama des Guinéens exilés au Sénégal et qu'il avait condamnés par contumace. Il refusa catégoriquement au nom de l'hospitalité sénégalaise.

Mais autres temps, autres mœurs ! Voilà qu'aujourd'hui, au mépris des enseignements du Prophète (Psl), en violation flagrante de la Justice sénégalaise, à l'encontre de nos traditions huma-nitaires, les autorités sénégalaises, dévouées aux Blancs, n'hésitent pas à vous livrer poings et pieds liés, en s'abritant derrière le paravent de l'Union africaine. Mais la saisine de cette organisation n'est motivée que par la demande de la Belgique au Sénégal, notre pays auquel elle dénie toute crédibilité judiciaire. Et ce sont malheureusement les dirigeants sénégalais qui cautionnent cette triste perception belge de notre institution judiciaire en donnant à rejuger la chose déjà jugée par des magistrats sénégalais. Et c'est dans la lie de la magistrature que le Sénégal a choisi son représentant à la commission secrète de l'Union africaine devant connaître de votre affaire ! Un magistrat qui a naguère déversé toute sa bile haineuse sur vous à travers ses fameux réquisitoires. Ce Sénégalais, vice-président du comité des Nations-Unies contre la torture, très lié aux organisations de «finance» des droits de l'Homme qui réclament votre extradition, a déjà monté son scénario en faisant condamner le Sénégal pour non-respect de la charte onusienne. Voilà la ruse enfantine que mon pays a trouvée pour préparer psychologiquement l'opinion à votre extradition afin de se mettre en règle avec les Blancs !

Mon cher Habré, cette lettre commence à être trop longue alors que vous avez le cœur en peine. Je vais donc l'arrêter ici en vous demandant instamment de conserver votre foi en Allah et votre confiance au peuple sénégalais qui, unanimement, vous soutient. Ce peuple hospitalier sait qu'aucun chef d'Etat africain actuel n'ose prétendre être meilleur que vous au point de vous lancer la première pierre. L'Afrique gardera éternellement en vous l'image de l'Africain qui a refusé la partition de son pays, qui a infligé une cinglante défaite à la France et à la Libye , qui a su sauvegarder l'intégrité de son Tchad natal. Vous êtes un martyr de la résistance africaine. A ce titre, l'histoire retiendra votre nom parmi les plus grands hommes de ce continent.

 

Professeur Oumar SANKHARE - Université Cheikh Anta Diop de Dakar

 


Source : Zoomtchad.com



NDLR : Cette lettre a été publié à l'époque par le site zoomtchad.com mais elle reste toujours d'actualité.

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