La responsabilité du corps médical : les Tchadiens complices de leur propre sort ?

Publié le par Waldar

Plusieurs cas de fautes commises par le personnel médical sont restés sans suite à cause de la réticence des victimes de demander que lumière soit faite sur les circonstances ayant abouti au drame. Pourtant, même en l’absence actuelle d’un code de santé publique, la jurisprudence en la matière peut toujours inspirer.

Selon l’article 2 du décret n°55-1591 du 28 novembre 1955 portant code de la déontologie médicale français encore en vigueur au Tchad, "le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance le devoir primordial du médecin."

Selon l’esprit du code, le médecin qui est appelé à donner des soins au cours d’une maladie, doit dans l’exercice de sa fonction, quelles que soient les circonstances, tout mettre en œuvre pour sauver la vie de toute personne en danger. Car, "toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés", précise le code. Il doit assurer aussitôt les soins médicaux en son pouvoir et désirables en la circonstance, personnellement ou à l’aide des tiers qualifiés (anesthésiste, sage-femme et autres professionnels de la santé) sans tenir compte du statut du malade.

Des malades laissés sans soins

Que constate-t-on dans nos structures sanitaires ? Parfois, nos médecins ne pratiquent pas leur fonction dans les règles de l’art. Les malades dont l’état nécessite une intervention d’urgence ne sont pas pris en charge à temps. Résultat : certains malades, faute de soins, succombent à leur maladie. "J’ai amené ma sœur victime d’un accident de circulation aux pavillons des urgences de l’hôpital général de référence nationale (HGRN). Mais aucun agent en service n’est venu à temps à son secours. Comme elle avait une hémorragie, ma sœur a rendu l’âme une heure plus tard suite à l’écoulement du sang ," déclare Eugène qui déplore le comportement des agents qui méprisent les malades abandonnés à leur triste sort.

"Abandonnée à elle-même, une femme en travail est tombée de son lit d’accouchement et s’est fracturé la jambe. Alors que les sages-femmes qui devraient l’assister échangent tranquillement dans le hall du bâtiment", rapporte une dame. Celle-ci dénonce par ailleurs la pratique fréquente de concussion des sages-femmes qui exigent des femmes venues pour accoucher à l’hôpital des espèces sonnantes et trébuchantes avant toute prise en charge.

"L’on ne doit pas abandonner un malade. Mais, pour un médecin sans moyens adéquats qui reçoit beaucoup de patients, il est difficile pour lui de secourir, par exemple, rapidement celui qui a une hémorragie dont le traitement nécessite une transfusion sanguine. Même si le produit existe, la plupart des patients ou leurs proches ne savent pas de quel groupe sanguin ils appartiennent. La transfusion demande la connaissance préalable de ce groupe sanguin. Dans ces conditions, que peut faire le médecin s’il n’obtient pas rapidement ces informations ?", explique un médecin qui poursuit : "Le médecin qui est occupé au bloc ne peut pas non plus abandonner le malade qu’il est en train d’opérer pour sauver un autre". Il déplore par ailleurs l’insuffisance du personnel et des moyens de travail qui ne facilite pas l’accomplissement de son travail. D’ailleurs, "le médecin est tenu par une obligation de moyen", lâche-t-il.

Selon la jurisprudence, la responsabilité médicale repose sur une obligation de moyen. Celle-ci est née d’un contrat conclu entre le médecin et son client (patient). Le médecin n’est pas tenu de guérir un malade, mais de lui donner "des soins consciencieux, attentifs conformes aux données de la science". Il doit toutefois répondre de ses actes en cas d’infraction.

Les délits, comme l’atteinte à la vie et à l’intégrité des malades, mentionnées ci-haut, constituent des infractions. Mais chez nous, les médecins ou autres professionnels de santé, présumés auteurs de délits ne sont pas traduits en justice pour répondre de leurs forfaits. Généralement, comme les victimes ignorent leurs droits, elles ne mettent pas en cause leur responsabilité. Par exemple, les proches d’un patient décédé à l’hôpital ne se posent pas de question sur la circonstance de son décès. Parfois, ils se résignent en disant que "c’est Dieu qui a décidé de son sort".

La non-assistance à personne en danger, un délit puni

L’inexistence d’un code de la santé publique pourrait expliquer l’impunité dont jouissent les professionnels de la santé coupables d’infractions. Toutefois, certains textes existent qui répriment ces agissements du corps médical. C’est par exemple, la non-assistance à personne en danger punie par le code pénal tchadien. La victime de ce délit peut évoquer à l’appui de sa plainte l’article 264 de ce code pour obtenir la condamnation du médecin coupable de son préjudice. Cet article stipule que : "Sera puni de 3 mois à 2 ans d’emprisonnement quiconque s’abstient de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours". Peu importe la raison pour laquelle la personne se trouve en danger. Car, les médecins sont formés pour porter secours à toute personne en péril. En plus de cette peine privative de liberté, l’auteur doit verser une amende de 5 000 à 1 000 000 de francs CFA. La jurisprudence pénale française fournit de nombreux exemples de condamnation de médecins sur le fondement de ce délit.

La victime ou ses ayant droits peuvent se fonder sur la perte de chance de survie ou de guérison prévue par l’article 1382 et suivants du Code civil pour obtenir des dommages-intérêts. Le juge ne peut pas exiger du plaignant d’établir le lien de causalité entre la faute et le dommage avant la condamnation. Normalement, toute faute, quelle que soit sa gravité, peut engager la responsabilité de son auteur à condition que la victime en établisse l’existence. Or, dans ce cas de perte de chance, la jurisprudence, en cas de difficulté, octroie tout de même la réparation à la victime qui évalue ses différents préjudices sans avoir à chiffrer spécifiquement la perte de chance.

“La personne humaine est sacrée et inviolable”

La jurisprudence administrative accorde aussi des dommages-intérêts à la victime n’ayant pas bénéficié de soins par manque des produits médicaux. L’invocation par la victime d’une simple faute liée à la mauvaise organisation de l’établissement dans lequel exerce le médecin suffit à engager sa responsabilité. L’établissement hospitalier (privé ou public) exerce une fonction de prestation de service public, les soins des malades. Il doit tout mettre en oeuvre pour satisfaire les besoins de ses usagers en se dotant de moyens de travail conséquents.

Les professionnels de santé sont chargés de sauver des vies. Selon l’article 17 de la fondamentale de notre pays, "la personne humaine est sacrée et inviolable". L’Etat en tant que garant des droits fondamentaux des citoyens doit élaborer et adopter le code de la santé publique et le code de la déontologie médicale, celui en vigueur étant en désuétude, pour garantir le droit à l’accès au soin des malades. Ces instruments juridiques définiront aussi les droits et devoirs des professionnels de la santé. Les pouvoirs publics doivent également former les agents de santé en nombre suffisant et les doter des moyens conséquents, renforcer leurs capacités pour qu’ils s’adaptent à l’évolution de la science. Car, la santé de la population en dépend.

 


Alphonse Dokalyo

cefod

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