Une décision qui risque d'embraser la région, au-delà du Darfour - Le Monde

Publié le par Hamid Kelley

Par Jean-Philippe Rémy / Lemonde.fr

En visant  la tête de l'Etat soudanais, la Cour pénale internationale (CPI) prend le risque de frapper, par ricochet, beaucoup plus largement.

Première victime collatérale potentielle : le processus de négociations entre le pouvoir et les groupes rebelles du Darfour. Or il semble exclu d'arrêter la violence au Darfour sans négociations, même si celles-ci sont au point mort, du fait de la mauvaise volonté des parties et de la maladresse de l'équipe de négociateurs Nations unies-Union africaine. Un nouveau médiateur conjoint, le Burkinabé Djibril Bassolet, vient d'être nommé. Il ne pourrait commencer sa mission sous de plus mauvais auspices. Avec quels interlocuteurs négociera-t-il désormais ? "Il ne faut pas oublier que Khartoum n'a pas perdu la guerre. Qu'on le veuille ou non, il faut parler à ce régime, on a donc besoin d'eux pour trouver une solution au Darfour", rappelle une source proche du dossier.

Lundi 14 juillet, le président burkinabé, Blaise Compaoré, doit rencontrer le président américain, George Bush, à Washington pour évoquer le processus de paix. Au même moment, la demande de mandat de la CPI sera en train d'exclure de fait l'une des parties, le président soudanais Omar Al-Bachir, accusé d'être responsable de crimes de guerre.

L'autre victime potentielle de cette décision pourrait être la force conjointe ONU-Union africaine, la Minuad, chargée de favoriser le retour à la paix au Darfour. Dès sa conception, la Minuad avait été en butte à l'hostilité de Khartoum, qui était parvenu à saper sa première version en excluant la participation de casques bleus occidentaux, estimant que ceux-ci constitueraient une force de "recolonisation" du Soudan. La mission de la Minuad, déjà ralentie par les obstacles dressés par les autorités soudanaises, n'est encore déployée qu'à 40 %. Si Khartoum devait durcir sa position, la force pourrait être complètement paralysée avant d'avoir été opérationnelle.

Ce blocage serait d'autant plus dangereux que le conflit au Darfour n'est pas terminé. Au cours des deux années écoulées, les attaques contre la population, orchestrées par le pouvoir, ont diminué d'intensité, en comparaison avec les destructions touchant des régions entières en 2003 et 2004. Mais de nombreux signes indiquent que le conflit est sur le point de reprendre.

Le gouvernement soudanais, les rebelles du Darfour, mais aussi le Tchad, "porte" de sortie et voie d'approvisionnement de ces derniers, menacent de lancer des opérations militaires. Entre le Tchad et le Soudan, se mène depuis 2005 une guerre par rebelles interposés en voie d'aggravation accélérée. Il serait plus facile pour le Tchad de justifier des affrontements avec un régime dont le chef est accusé par la CPI d'être un criminel de guerre.

A Khartoum, où on renforce les défenses de la capitale, sous couvert d'"exercices", la montée en puissance des options militaires est sensible. Fin mai, le président soudanais, devant des officiers des groupes paramilitaires des services de renseignement qui prêtaient devant lui le "serment de la mort et du sacrifice", a affirmé ne plus se sentir lié par un cessez-le-feu avec les groupes rebelles. Le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM) - le groupe rebelle du Darfour, désormais le plus puissant, qui avait traversé la moitié du Soudan en mai pour frapper Khartoum - déclare également se préparer à de nouvelles attaques (voir Le Monde du 9 juillet).

S'estimant acculé, le régime soudanais va-t-il également procéder à une escalade des menaces visant la présence internationale ? En juin, devant une vaste assemblée de miliciens des Forces de défense populaires (PDF), le président Bachir a déjà menacé d'appeler à un "djihad" contre "les étrangers". Au cours des années précédentes, les Nations unies ont vécu dans la crainte d'être frappées par un attentat, des services de renseignement ayant identifié l'existence de cellules préparant des attentats.

De plus, après vingt-quatre années de guerre, Khartoum et la rébellion sudiste avaient signé en 2005 un accord de paix dont l'une des étapes importantes est l'organisation d'élections générales dans tout le Soudan en 2009. Il est à redouter que le processus de négociation entre les ex-ennemis ne soit, lui aussi, condamné par cette nouvelle situation, qui disqualifie une des parties et relance le risque de guerre.

Jean-Philippe Rémy


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