La résolution de la crise Tchad-Soudan doit engager tous les protagonistes
Voici le texte intégral de l'interview réalisée en décembre dans la capitale camerounaise :
Question (Q) : Echange d'ambassadeurs et mise en place d'un groupe de contact. S'agit-il d'une simple accalmie ou d'une dynamique réelle de renormalisation entre le Tchad et le Soudan ?
Joseph Vicent Ntuda Ebode (JVNE) : On peut soutenir les deux points de vue. D'abord, on peut penser qu'il s'agit d'un mouvement de surface, qui peut être dû au fait qu'il y a des pressions sur les deux gouvernements de part et d'autre, en fonction des énormes enjeux humanitaires et énergétiques dont regorge le Darfour.
De l'autre côté, on peut aussi penser qu'il s'agit bien d'une tendance de fond, tout simplement parce que les connexions et les enjeux autour des deux pouvoirs qui se cristallisent dans le conflit du Darfour sont tels qu'aucun des deux régimes ne peut se sentir avoir gagné ce conflit si vraiment les deux n'interagissent pas dans le même sens. C'est quand même un problème qui touche les mêmes familles et qui, de ce point de vue, ne peut pas trouver de solution si, véritablement, les deux gouvernements ne mettent pas sur pied des possibilités réelles de résoudre cette question.
Q : L'histoire montre que ces deux pays voisins ont toujours entretenu des relations tantôt cordiales, tantôt conflictuelles. Pensez-vous que les régimes d'Idriss Deby Itno et d'Omar el Béchir puissent parvenir à s'entendre ?
JVNE : Naturellement, il est possible que les deux régimes arrivent à s'entendre. Mais, tout cela dépend du degré réel d'ouverture politique. Parce que lorsqu'il y a ouverture politique, les conflits persistent mais se résolvent de manière pacifique. Le fait que les deux pays soient fermés indique aussi l'intensité de la violence qui se trouve au centre des modalités de résolution de ce conflit dont on sait pourtant à l'avance qu'aucun pays ne peut gagner tout simplement à partir de la perspective de la violence. Donc, je crois que c'est possible qu'on parvienne à une solution définitive de ce confit entre les deux pays. Mais tant que les régimes ne s'ouvrent pas politiquement pour résoudre les problèmes de manière pacifique plutôt que de manière militaire, cela peut être un handicap à la résolution de ce conflit.
Q : Assiste-t-on, comme certaines thèses l'affirment, à une guerre entretenue par des acteurs étrangers ?
JVNE : Il est évident que dans ce conflit, il y a une instrumentalisation, qui s'explique par la présence des enjeux que j'ai qualifiés tout à l'heure d'humanitaires, mais aussi énergétiques. Donc, il y a un pan qui vient des puissances étrangères. Et lorsque j'ai évoqué la donnée ethnique et la donnée de la fermeture des régimes, c'était aussi pour indiquer qu'il y a un pan entier de ce conflit qui repose sur des questions internes, la gestion du pouvoir par un certain nombre d'ethnies, mais aussi la gestion du pouvoir à partir du degré d'ouverture des régimes politiques des deux pays. Il me semble donc que les deux positions peuvent être défendues valablement.
Q : Voulez-vous dire que la recherche d'une solution à cette crise ne saurait se limiter uniquement aux deux protagonistes ?
JVNE : Lorsqu'on fait la gestion des conflits, on intègre tous les acteurs impliqués directement ou indirectement. L'on ne peut donc pas résoudre ce conflit uniquement en appelant le Tchad et le Soudan, alors même que les gens qui exploitent les richesses ou qui ont envie de les exploiter sont mis de côté. Il faut donc que l'ensemble des protagonistes s'asseye et ces protagonistes sont d'abord internes. Mais il y a des protagonistes externes qui sont très puissants et donc il faut qu'ils jouent véritablement le jeu de la paix. Puisqu'il est dans leur intérêt que la situation se stabilise.
Q : Que peut la force multinationale créée en 2007 par les Nations Unies ?
JVNE : La force multinationale pose déjà un premier problème qu'il va falloir résoudre. Lorsqu'on a demandé aux pays africains de renforcer les capacités en matière de maintien et de gestion de la paix, il était question pour les puissances occidentales de laisser les Africains résoudre leurs propres problèmes, mais de les assister en payant avec les moyens. C'était ça l'esprit de la sous-traitance stratégique, qui a donc amené un certain nombre de régimes à signer les accords de gestion des conflits à la place des Nations Unies. C'est sur cette base que l'Union africaine a envoyé des forces au Soudan, les forces du Darfour. Mais à peine ces forces sont arrivées sur le terrain, le problème des moyens a commencé à se poser. Ceux qui avaient pris la responsabilité d'envoyer les moyens n'ont plus vite envoyé ces moyens ou même ne les ont pas envoyés en quantité suffisante.
Du coup, la force de l'Union africaine (UA) s'est retrouvée paralysée. A partir de ce moment-là, le débat a commencé. Cette force a été suspectée d'être impuissante et on a proposé une force des Nations Unies, comme si l'UA n'agissait pas au nom de l'ONU. Et le déblocage pour l'acceptation de cette force a fait naître ce qu'on a appelé la force hybride UA-ONU au Darfour. On a vu ce que cela a donné. Ça n'a pas donné grand-chose sur le terrain. Et puis, on est passé à une autre force plus ou moins parallèle, l'Eufor, qui devait intervenir à la frontière du Tchad et du Soudan. Ça n'a pas donné grand-chose non plus.
Maintenant, on passe à une quatrième force. Cette fois-là, il faut que les Nations Unies interviennent seules. Cela indique que la communauté internationale n'est pas en accord avec elle-même. Il faut bien que l'on sache ce qu'elle veut et à partir du moment où l'on sait ce qu'elle veut, qu'on détermine comment arriver.