Youssouf Saleh Abbas, les raisons d’une démission

Publié le par Waldar


Par Gata Nder, Correspondant Actualité Internationale

ABBAS YSA.JPGAnnoncé le 6 février, le départ de Youssouf Saleh Abbas à la tête du gouvernement tchadien était attendu. L’homme était au bout de son rouleau, absent et impuissant face à un Président de la République au mieux de sa forme, sur tous les fronts, et qui lui manifestait publiquement son mépris.

Mais l’arrivée de M. Emmanuel Nadingar a déjoué tous les pronostics, tant son seul «  mérite » politique est d’avoir rallié au moment opportun le parti du Président Idriss Déby en 2001 en pleine campagne électorale.

A Sarh, localité du sud du pays où il célébrait en janvier, l’anniversaire de son accession au pouvoir en présence de tous les membres de son gouvernement, des institutions nationales et des diplomates accrédités au Tchad, le Président Idriss Déby a omis, semble t-il volontairement, de nommer dans son discours son Premier Ministre, présent à ses côtés. Chacun a pu lire dans cette omission une disgrâce annonciatrice de son prochain limogeage.

Trois mois après, et dernière humiliation, c’est en pleine retransmission en direct de l’ONRTV (Office Nationale de la Radiodiffusion et Télévision) de la cérémonie d’ouverture de l’Assemblée Nationale, a laquelle assistait son Premier Ministre, que les émissions sont interrompues pour annoncer la démission de Youssouf Salah Abbas, et quelques minutes plus tard le nom de son remplaçant, l’ancien ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la décentralisation, Emmanuel Nadingar.

Comment cet homme qui avait suscité tant d’espoirs, notamment parmi les acteurs sociaux et la société civile, a-t-il pu s’en aller dans une indifférence générale ?

De l’espoir à la désillusion

En avril 2008, quand le président Idriss Déby confiait à Saleh Abbas la mission de constituer un « gouvernement d’union », le climat politique était électrique. N’Djaména se remettait à peine de la guerre de février, où le Président Idriss Déby retranché dans son palais, assiégé par les forces rebelles, a sauvé in extrémis son pouvoir grâce a ses chars et ses hélicoptères. On était en pleine polémique concernant la disparition du leader politique Ibni Oumar Mahamat Saleh, enlevé avec d’acteurs politiques à la fin des affrontements.

La société civile était déchaînée contre l’ordonnance 05 considérée comme une mise au pas de la presse. Les syndicats fourbissaient leurs armes attendant le bon moment pour faire entendre leur voix. A cela s’ajoutait les pressions des chancelleries occidentales qui poussaient le Président Idriss Déby à mettre en application l’accord politique du 13 août 2007. En application de cet accord, il devait confier le poste de Premier ministre à un ténor de l’opposition. Il a choisit prudemment de nommer Youssouf Saleh Abbas, un maquisard récemment rallié, qu’il avait nommé auprès de lui comme conseiller diplomatique, ensuite comme représentant du gouvernement auprès de la MINURCAT (Mission des Nations Unies pour le Tchad et la République Centrafricaine).

Le choix était judicieux et amplement payant. Youssef Saleh Abbas étant comme Ibni Oumar Mahamat, un intellectuel de la région du Ouaddaï, sa nomination a quelque peu apaisé la révolte qui grondait au sein des populations de l’est du Tchad. Bien accueilli par les acteurs politiques, il réussit à faire entrer dans un « gouvernement d’union » quatre ténors de « l’opposition radicale ». Le reste des acteurs étant absorbés dans le comité de suivi des accords du 13 août, l’opposition était ainsi réduite au silence.

Grâce à ses opérations de charme et de multiples promesses, il a jouit d’un état grâce qui a duré presque année. Il a fallu tout ce temps, pour que tout le monde se rende compte qu’il n’avait pas bougé d’un pouce sur aucun des dossiers où on l’attendait, et qu’il en était incapable. Pire, il était totalement absent lors des pires moments de la crise sociale. Seul élément à mettre à son actif, le coup d’accélérateur donné au processus politique, avec en perspective l’organisation de prochaines élections législatives.

Que pourra faire Nadinga.. ?

Youssouf Saleh Abas a-t-il été incompétent ou simplement a-t-il bien compris le rôle qui était le sien, celui d’être un faire valoir. Quelque soit le Premier ministre, la réalité du pouvoir est fermement tenue en main par le président Idriss Déby. La marge de manœuvre du Premier ministre est réduite et son siège hautement éjectable.

En 20 ans de pouvoir, le président Déby a « usé » 13 Premier Ministre, considérés par l’opinion comme de simples fusibles. En fait, le choix du Premier Ministre obéit à des impératifs politiques et à une logique dont il a seul le secret. Le choix de Nadingar ne semble pas déroger à la règle. En dehors du prestige de son nom -son père était un grand homme politique de l’ère de Tombalbaye- et un modeste diplôme de comptable, rien ne le prédisposait à devenir chef d’un gouvernement. Mais il faut reconnaître, qu’il a su jouer habilement pour entrer dans l’estime du président Déby. Farouche opposant à ce dernier jusqu’en 2001, il est le fondateur de l’Action tchadienne pour l’Intégrité (ATI) - version tchadienne de Transparency International - et président du Parti pour le Redressement Démocratique (Pnrd).

A la veille des élections présidentielles, il rallie sans crier gare le parti au pouvoir, le MPS. Le président Idriss Déby se servira de lui comme l’antidote idéal au candidat fédéraliste Yorongar, étant comme lui, enfant de la très convoitée région pétrolière du Tchad. Il battra campagne contre Yorongar et la popularité du nom de son père lui a permis de trouver des oreilles attentives au sein des populations. C’est sans doute dans une approche électoraliste, en tenant compte du poids démocrate, stratégique de la région et des menaces du courant Yorongar, que ce serviteur fidèle du Président Déby est mis à ce poste.

Par Gata Nder, Correspondant Actualité Internationale à N’djamena



Source : linternationalemagazine.com




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